
Un responsable d’une association haïtienne explique comment il voit les lois de l’immigration en Guyane.
L’une des premières lois réglementant l’immigration en Guyane date de 1935. Cette loi coloniale fut remplacée par la loi française de l’immigration qui fut étendue à la Guyane lors de la départementalisation en 1946.
Cette loi fut modifiée en 1980 pour permettre l’application du régime de droit commun. Elle fut remodifiée et abrogée en 1981 sauf pour les dispositions concernant les possibilités d’expulsions.
En 1986, une nouvelle modification exige un Visa Consulaire pour laisser entrer légalement les étrangers. Cette loi prévoit que celui qui est muni d’une carte de séjour ne peut être expulsé sans avoir été entendu par une commission dont l’avis ne lie pas le Préfet. L’étranger sans carte de séjour peut être expulsé et la loi accroit le nombre de motifs d’expulsion.
La mise en application des lois de l’immigration dans un territoire comme celui de la Guyane est très difficile, car la perméabilité des frontières communes avec le Brésil et le Surinam rend le contrôle total impossible. Les services gouvernementaux responsables revendiquent plusieurs mesures accessoires pour contrôler les entrées illégales. Connus sous le nom des « 30 mesures », ces moyens de contrôle doivent aboutir, entre autres, à la mise en place de moyens de repérage informatisés. Ce nouveau système permettant de faire des recoupements entre les demandes de cartes de séjour et les permis de travail avec les informations des différentes polices de l’air et des frontières avec celles des renseignements généraux, du travail, de la police urbaine, de la D.A.S.S
L’application de ces lois est fonction des rapports politiques entre la métropole et les D.O.M. ainsi que des idéologies gouvernementales concernant le sort de l’immigration en France.
On reconnaît qu’il y a des choses qui se font ici et qui ne se font pas en métropole, car sur le document de 1984 concernant les étrangers il y est écrit : « cas spécifiques pour les DOM-TOM : à décider au niveau de l’assemblée générale ».
Ce ne sont pas des lois qui s’appliquent automatiquement comme en métropole.
Il y a par exemple, le cas de la carte de dix ans renouvelable automatiquement sur lequel nous nous sommes battus.
La réflexion au sein du gouvernement socialiste était qu’il fallait améliorer la condition des étrangers, car il y en a qui sont là depuis longtemps et l’on se rendait compte que ce n’était pas correct de soumettre les étrangers à toutes ces formalités. Ils participent à l’économie ! Donc aussitôt que la personne pouvait justifier d’un emploi stable pour 3 ans, on devait automatiquement lui délivrer une carte de séjour de dix ans renouvelable même s’il n’a pas de travail ou de patron. Cette loi n’est pas applicable dans les D.O.M.
Mon cas était de ce type, car j’étais en métropole depuis six ans et quand je suis arrivé ici en 83 j’avais une carte de séjour de trois ans. Une fois ici j’ai demandé le renouvellement de ma carte et ce fut tout un problème. C’est grâce au directeur du cabinet du préfet que j’ai pu obtenir une carte de séjour de dix ans. Beaucoup de choses ne sont pas applicables automatiquement dans les D.O.M. comme le S.M.I.G., les allocations familiales et les indemnités pour le troisième enfant.
Je considère que c’est une discrimination, car si la Guyane c’est la France, les mêmes lois devraient être appliquées. Sur le carte on ne devrait pas noter la date d’arrivée en Guyane, si l’on a déjà passé par la France métropolitaine. À la limite s’il y avait l’autonomie ici.
Le gouvernement joue sur la décentralisation, on donne effectivement plus de latitude aux élus locaux de Guyane.
Il y a eu une commission spécifique en Guyane sur l’immigration et c’est à la commission de faire des propositions au gouvernement. On se passe la balle. De temps en temps les élus disent que ce n’est pas de leur ressort que ça regarde l’immigration au sein du gouvernement et celui-ci leur demande de faire des propositions. Ça, c’est leur problème !
Ceux qui passent par le Surinam peuvent demander une carte de séjour. Les Haïtiens qui sont arrivés avant 1980 n’ont pas eu de problèmes de visa et ceux qui sont arrivés après pouvaient demander un visa de court séjour de trois mois une fois en Guyane. En 1981, on a offert à ceux qui sont arrivés par le Surinam une possibilité de se mettre en règle avec l’administration et ceci est valable jusqu’à maintenant. Du moins jusqu’à ce qu’il y ait 3 mois, car dans l’état actuel des choses la Préfecture est maintenant fermée pour toute nouvelle demande. On n’a pas précisé si c’était une fermeture définitive. On a dit qu’il fallait en terminer avec tous les anciens dossiers qui traînent. On a dit que quand l’on va reprendre, ils vont passer un communiqué. Si c’est pour être déclaré ou pas.
Le renouvellement des permis de séjour serait donc influencé par l’idéologie politique. Gouvernementale. Avant que la gauche prenne le pouvoir, c’était encore plus dur, ce n’est que depuis 81 que quelques permis ont été accordés à des Haïtiens pour faire des petits business.
Ce sont aussi les acquis de la gauche qui ont permis ce renouvellement des permis de séjour pour 3 x 3 mois. Il te faut soit trouver un patron, soit prendre une assurance personnelle en tant qu’artisan.
Le Statut des Enfants
Si une femme a un enfant dans le département, celui-ci ne devient pas automatiquement français, mais il reste cependant que cette famille ne peut pas être expulsée. Ceux qui ne peuvent être expulsés selon l’article 25 sont : les étrangers mineurs de moins de 18 ans ; l’étranger marié depuis au moins six mois dont le conjoint est de nationalité française ; l’étranger qui est père ou mère d’un ou plusieurs enfants français dont l’un au moins réside en France à moins qu’il n’ait été définitivement déchu de l’autorité parentale.
Il y a un article bien précis là-dessus. On ne peut expulser un enfant, car il est mineur et si l’on expulse la mère l’on doit expulser aussi l’enfant mineur. Il y a jurisprudence sur ça. On ne peut expulser l’enfant du moins pas avant sa majorité. À sa majorité l’enfant peut opter pour la nationalité française. Ceci n’est pas automatique, mais cela se fait tout de même.
Les Papiers
La clandestinité c’est aussi et surtout l’illégalité qui se résume à un seul mot : les papiers.
En bref, la loi permet à une personne déclarée d’obtenir un permis de séjour et une carte de travail si un(e) employeur(e) cautionne l’immigrant. Dans ce cas, elle touche le salaire minimum et a droit aux avantages sociaux telles les allocations familiales, les allocations de chômage, la médecine gratuite, etc. moyennant que l’employeur (e) paie la sécurité sociale.
Or, le travail au noir comporte des avantages évidents pour l’employeur, car non seulement les salaires sont moindres et sans paiement de sécurité sociale, mais il permet aussi de contraindre l’employé hors la loi par les menaces possibles d’expulsion.
Comme la dépendance envers un patron est le seul moyen accessible pour obtenir des papiers légaux, le thème des « papiers » remplit nos entrevues et apparaît réellement comme le principal objectif stratégique, la clef qui ouvre la porte au travail bien payé et à la sécurité. Cette quête des papiers est en quelque sorte le Graal des émigrées.
«Là où je travaille comme femme de ménage, toutes les conditions sont remplies pour régulariser ma situation, mais le patron attend de pouvoir coucher avec moi. (Femme)
Cela fait 6 ans que je travaille pour le même patron et il refuse de me déclarer ( Femme).
Depuis 1978 que je suis là. Je n’ai pas de papier. Sans papiers la police ne me connaît pas et ne peut pas faire de problèmes ( Femme)
Même morte il y a des problèmes.
Une femme de Montjoly a été trouvée morte dans sa chambre tellement elle avait « calculée ».
Il y a eu de grandes démarches pour faire venir l’ambulance, un camarade a marché je ne sais où. Ils ne furent pas intéressés à venir à la maison parce que la madame n’avait pas de papier. ( Femme)
On demande aux Haïtiens, pour régulariser leur situation et obtenir une carte de séjour , un certain nombre de documents comme la quittance de loyer, le billet de retour ou la caution, un contrat de travail.
C’était un cercle vicieux, une boucle.
Si vous allez à l’inspection du travail, on vous dit qu’il faut une carte de séjour. Vous allez à la Préfecture et l’on vous répond qu’il faut une carte de travail. Vous allez à la main-d’œuvre et on vous demande une carte de sécurité sociale. Vous allez à la Sécurité sociale et on vous retourne encore…

Vous voyez c’est la balle de ping-pong .
Avec l’appui d’un officiel, nous avons pu briser ce cercle.
Le résultat est que certains Haïtiens ont réussi à obtenir leur carte de séjour. (M. Étienne était le consul d’Haïti en Martinique. Celui-ci a été muté à New York à la suite des événements de février en Haïti.)
Même si nous pensions trouver un meilleur travail que de couper l’herbe, on peut au moins trouver du boulot.
De toute façon, si tu n’as pas de métier et le travail, c’est du travail.
En réalité c’est une question de trouver du travail pour vivre.
Du moment où tu peux vivre!
Moi je suis prêt à faire n’importe quel travail pour trouver de l’argent et retourner chez nous.
Ici pour avoir du travail on te demande le baptistère de ta mère, de ton père, le tien et même celui de ta grand-mère(rires)
Si tu ne l’as pas, on ne te donne pas de travail.
La clandestinité est une notion juridique qui n’est pas toujours perçue clairement par l’immigrant qui semble parfois passif devant sa situation d’immigrant illégal.
«Mon patron ne m’a jamais parlé de papiers depuis 8 mois que je suis là. Il y a même des gens qui travaillent à la Préfecture et qui n’ont pas de papiers ! ( rires)
Je pensais que tout était correct, j’ai toujours cru que j’étais déclaré jusqu’au jour où les policiers m’ont demandé mes papiers. Je me suis aperçu que je n’avais pas les papiers qu’ils me demandaient.
« La plupart des Haïtiens qui sont ici maintenant sont arrivés par le Surinam et à partir de ce moment, ils sont clandestins. Ceux qui sont arrivés d’Haïti avec un visa de touriste de trois mois deviennent clandestins une fois celui-ci expiré.
Le problème auquel nous sommes confrontés, c’est que les clandestins se comportent comme s’ils étaient chez eux. Ils ne voient pas le problème de papiers et lorsqu’on leur dit que ça devient sérieux, que l’administration va prendre des dispositions. Ils n’y croient pas, car ils te disent :
Écoute, on en parle tous les ans en Guyane et on ne fait jamais rien!
Depuis les mesures de 1983, tout le monde voit maintenant la nécessité de se mettre en règle.
« Notre rôle en tant qu’association c’est de négocier avec l’administration…il arrive que malgré tout, même si l’on fait des campagnes dans les « cités » pour que les gens se présentent, que des gens qui sont ici depuis 1972 ne se sont jamais présentés pour se faire connaître de l’administration.
Je connais un cas qui est ici depuis 1972 et même son passeport haïtien est périmé depuis 1975. Il a reconnu la nécessité de posséder des papiers. Il a fait les démarches pour faire renouveler son passeport.
Notre problème il est là avec soit l’incompréhension des lois ou encore la négligence des gens.
Règle des 9 mois ou risquer d’être expulsé
Il est possible de renouveler son permis de séjour trois fois, il s’agit de ce qu’on appelle ; la règle des « neuf mois ». Plusieurs personnes ont cru que l’administration préfectorale avait voulu profiter de l’occasion des renouvellements des permis de séjour pour compter les immigrants, les identifier et éventuellement les expulser.
En Guyane récemment, ils ont fait un genre de recensement dans le sens où ils ont demandé à tous ceux qui n’avaient pas de carte de séjour de venir se présenter. Ils disent qu’il y a 12 000 Haïtiens ici à la suite de ça. Mais c’est la majorité qui est cochée. Ils ne sont pas allés, car ils disaient que c’était un piège. Ils te demandent un patron et ils te donnent 9 mois (3×3 mois). En ma présence l’autre jour, il y a un Haïtien qui est venu demander un titre de séjour. La dame lui a dit qu’il fallait avant la fin des 9 mois il fallait qu’il ramène tous les papiers nécessaires.
Elle lui a dit :
« To savé si to pa mené sa pièce-sa-a yo to pa dan sa ».
Le gars n’a pas compris, elle a répété. Il a fallu que je traduise pour lui.
Il était très étonné de cette formule de 9 mois.
Où va-t-on avec ça ? Il y a plein de monde qui ne trouve que des petits boulots.
Les patrons sont très durs, il ne faut pas compter qu’un patron va déclarer quelqu’un. C’est toujours de la mauvaise foi!
Si tous les gens se présentaient, je ne sais pas si la Préfecture serait d’accord pour régulariser leur situation. Je crois que la situation de la Guyane actuellement ne permettrait pas de régulariser tout le monde.
Économiquement parlant, je crois que selon l’esprit de l’administration française, il n’est pas possible de régulariser des chômeurs. Il faut avoir une relation quelconque avec l’emploi et tel n’est pas le cas pour plusieurs Haïtiens qui n’ont pas d’emploi stable, car ils travaillent à la journée. D’autres ont des emplois stables, mais c’est le patron qui refuse de les déclarer pour ne pas payer les charges sociales.
L’ensemble de ces mesures étaient dans un premier temps destinées à freiner l’immigration clandestine, empêcher des nouvelles entrées et permettre à ceux qui sont là de régulariser leur situation. Ce n’était pas facile, car l’on savait que l’on ne pourrait pas régulariser tout le monde. Les négociations pour ce projet ont commencé en 84 et même en 83 avec le passage de la délégation ministérielle.
Moi ce que je dis c’est que nous nous sommes fait piéger. Cette proposition enchantant au départ à cause de la possibilité de régularisation de statut a permis aussi de recenser les gens. Ceci a permis au Préfet de dire qu’il y avait 13 000 Haïtiens en Guyane. Or, sur les 13 000 Haïtiens connus de la Préfecture il y en a que 1,800 à qui la Préfecture a donné une carte de séjour, car les autres n’ont pas réussi à réunir les pièces nécessaires.
Maintenant on connaît tout le monde avec leur adresse, il est facile après neuf mois de leur envoyer une lettre qui stipule qu’ils ont un mois pour quitter le département.
La première fois où j’ai eu mes papiers, ça faisait déjà plusieurs fois que je remplissais ces formulaires, car on me demandait un travail et je n’en avais pas. On me demandait aussi comment je faisais pour manger et dormir et je leur disais que c’était grâce à des copains. Je ne recevais jamais de réponse !
C’est alors que je décide d’aller voir directement la responsable administrative qui après quelques questions et en consultant mon dossier, me donne un permis de séjour.
Je n’ai cependant jamais eu de permis de travail, car cela obligerait mon employeur à me payer selon les normes et ça me donnerait droit au chômage.
Je n’y ai pas droit même si sur mon chèque on m’enlève tout : sécurité sociale, chômage, vieillesse, accident de travail, etc. La carte de sécurité sociale me donne droit à l’hôpital, aux allocations familiales et à l’école, si j’avais des enfants.**
Une réflexion sur “12 Les Haïtiens devant la loi de l’immigration en Guyane”