
Ni Miami Ni Canada
*C’est loin de chez nous la Guyane. Il vaut mieux aller à Miami, car c’est plus près de chez nous. Je crois que les gens qui vivent à Miami sont mieux que nous, là- bas, ils travaillent et touchent des dollars. Ainsi, ils peuvent envoyer facilement de l’argent en Haïti. Ici il y a beaucoup plus de difficultés pour ça.
*D’après ce que l’on peut voir à la télévision les Haïtiens de Miami on les appelle ‘boat people’, ils ont un nom. Ici les Haïtiens n’ont pas de nom et s’ils en ont un, c’est nous qui le donnons aux nouveaux arrivants. Je ne comprends pas très bien la réalité des ‘boat people’, car je crois qu’on les enferme parce qu’ils sont irréguliers. Ici c’est un peu mieux pour ça, car on ne nous enferme que quelques jours avant de nous expulser tandis que là-bas ce peut être des années. C’est tellement long que tu peux même aller à l’école en prison et il y a un médecin qui vient te soigner. Il vient les visiter comme un vétérinaire viendrait visiter un troupeau! »
*Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’Haïtiens au Canada, car c’est très difficile d’entrer ou Canada…Dans le fond la meilleure place pour vivre c’est ton pays natal. «
*Je suis parti pour la Guyane, car c’était plus facile. Pour des États-Unis il fallait être pistonné pour avoir un visa, avoir aussi de l’argent. C’était plus facile pour les Haïtiens à cette époque de venir en Guyane. Finalement je suis parti, mais jamais je n’aurais cru me retrouver dans ce pays.
J’étais en préparatoire avec les Frères de l’Instruction Chrétienne, j’apprenais la géographie et douze ans et plus tard je me retrouve en Guyane! J’ai pris l’avion à Port-au-Prince et je me suis retrouvé à Rochambeau. L’avion c’était la seule possibilité, car par bateau, c’était beaucoup trop long. On pouvait passer par Rochambeau, car c’était avant 1980.
*Les jeunes que je connaissais à l’époque avaient des projets et effectivement plusieurs sont partis. Ils sont allés à New York, au Canada et même en Guyane. Ils avaient l’opportunité de se trouver du travail et d’organiser quelque chose pour leur vie privée. Moi, en réfléchissant à ça, je me suis demandé qu’elles sont les possibilités qui me sont offertes pour réaliser quelque chose par moi-même.
*J’avais choisi New York, car j’avais mon cousin qui était là et avec qui je m’entendais bien, mais les difficultés pour obtenir un visa m’ont fait penser autrement. Ensuite je voulais aller à Miami!
Là non plus ce n’était pas possible. Alors, n’en parlons pas de Montréal et du Canada! J’ai choisi la Guyane par la suite parce que je connaissais beaucoup de gens qui étaient venus ici, qui sont revenus en Haïti et qui sont retournés. Je me suis dit ‘Ce doit être pas mal’ et en plus, il n’y avait pas beaucoup de difficultés pour entrer en Guyane.
Si le Canada et les États-Unis avaient été plus faciles, je les aurais choisis en particulier les États-Unis. Ma tante qui faisait le commerce avec les E.U. m’a dit après mes refus répétés pour les E.U. que si je voulais aller en Guyane, elle pourrait s’arranger pour mon billet d’avion. Elle pouvait aussi me donner $200 en argent de poche.
*C’est moi qui a décidé de partir. Mes parents n’étaient pas d’accord, car ils ne savaient pas ce que partir voulait dire, ‘Lavi partir’. Ils ne comprenaient rien, Ils étaient dans le noir. Ils n’avaient pas conscience de ce qui se passait en Haïti. Il y avait aussi le fait que j’étais prédicateur responsable d’un ‘peuple’. C’est un pasteur de Port-au-Prince qui m’a parlé de la Guyane. J’ai choisi la Guyane, car je n’avais pas beaucoup d’argent.
*Je ne voulais jamais mettre les pieds à Cayenne. Moi mon premier départ ça été pour le Venezuela. Avec un copain on est arrivé au Venezuela. En arrivant là nous nous sommes fait arrêter, car nous avions des visas qui étaient faux même si l’agence nous avait garanti que tout était conforme. Après quelques semaines ils nous ont réexpédiés en Haïti. En retournant en Haïti, j’étais très embarrassé par l’idée d’aller en France et encore plus par l’idée d’aller à Cayenne.
Guyane : un lieu transitoire pour la France
*La Guyane n’est pas un phénomène d’envoûtement parce qu’étant donné la situation dans laquelle se trouve l’Haïtien, la seule alternative qui se présente pour lui était de quitter Haïti. Vous n’avez qu’à voir les ‘boat people’ pour comprendre qu’il faut aller n’importe où….
Il y a aussi des « gros habitants », des gens à l’aise en Haïti qui sont partis. Ce n’est pas du tout un envoûtement, c’est un phénomène politique teinté de la partie économique. Il faut voir aussi quel endroit était le plus facile d’accès pour comprendre le phénomène. On pouvait avoir le visa pour le Surinam facilement. Toutes les autres destinations étaient fermées sinon il fallait sortir un paquet d’argent et être prêt à attendre.
*Il y a eu de la propagande pour la Guyane, une fausse propagande pour localiser les gens vers cette destination. Celle-ci a été faite surtout par des businessmen, des agences de voyages. La vérité a été voilée. Les gens croyaient qu’il y avait du travail, qu’il y avait le ‘Plan Vert’, etc. Vous savez aussi que les États-Unis sont quand même démystifiés, on sait que ce n’est pas l’Eldorado. C’est encore un peu le rêve, mais de toute façon les frontières au Canada ou aux États-Unis sont fermées. Il restait quelques possibilités en Europe, en France, en passant par la Belgique ou l’Espagne. Et il y avait la Guyane, mais dans l’esprit de beaucoup d’Haïtiens ils arrivaient en Guyane en transit. C’était un peu un pied-à-terre pour accéder à l’Europe, aux États-Unis ou en France. Il y a pas mal d’Haïtiens qui sont déçus de la Guyane…
Un Camion pour aller en France
*Je me suis présenté au Consulat américain, mais j’ai subi un refus. En sortant du Consulat j’ai rencontré un copain qui m’a dit : » On va aller en Guyane, il n’y a pas besoin de visa. Je connais quelqu’un là-bas et de là on peut prendre un camion pour aller en France. Je n’avais jamais entendu parler de la Guyane, je ne savais même pas où cela se trouvait.
J’avais déjà vu ça sur une carte, mais, de toute façon les gens ne savent pas où se trouve la Guyane, même pas au Cap ou à Port-au-Prince. Sauf les gens du Sud, eux ils le savent! Cela se passait le mardi, en arrivant j’annonce à ma femme que je pars dans deux jours. Toute surprise elle me demande : « Pour où ? » Je lui réponds : « en Guyane. » Elle me réplique : « Où ça ? « Je n’ai jamais entendu personne partir pour là !
Le vendredi je prends l’avion avec mon copain et je débarque directement à Paramaribo.