Questions de survie des immigrantes haïtiennes en Guyane

cxlandestineCe n’est que depuis le début de la décennie des années 80, qu’une véritable problématique des rapports femmes et migrations s’est constituée en anthropologie.
Quelques constations générales à propos de ces migrations montrent que le sort de ces émigrées change surtout lorsqu’il s’agit du passage des familles élargies traditionnelles aux familles restreintes et quand l’économie domestique devient salariée suite à la marchandisation globale qui entraînent des changements à la division sexuelle du travail.
En pays industriels, ces femmes se trouvent dans des secteurs d’emplois à haute intensité de mains-d’œuvre. Elles sont sous-payées, insécures et leur mobilité sociale est bloquée. Elles forment une fraction sexuellement et socialement catégorisée de la classe ouvrière. Elles assument le double rôle de travailleuse salariée et de travailleuse domestique dont les responsabilités sont contradictoires, ce qui se traduit par une certaine discontinuité du travail féminin. De plus, elles participent au développement d’enclaves ethniques et à la constitution d’alternatives d’emploi dans le contexte des relations « androcentriques »  des réseaux familiaux et communautaires. (Constatations de Micheline Labelle, Dierde Mentel au Québec )
Le cas de l’émigration en Guyane française présente cependant suffisamment de caractéristiques particulières pour constituer un cas-type distinct des migrations vers les métropoles économiques industrielles.
Dans le cas  des femmes haïtiennes en Guyane, il s’agit d’une émigration jouant le rôle de stratégie populaire de développement.
Elle concerne presque exclusivement de paysannes du sud du pays. Originaire des mornes ou de petits bourgs, elles ont cependant été en contact avec des zones urbaines du sud. Elles sont issues de couches sociales ayant accès à un réseau d’entraide pouvant financer et cautionner les charges économiques de l’émigration. Ce ne sont donc pas les plus démunies qui partent.

La clandestinité

La clandestinité, signifie deux choses pour les immigrantes :
1) le passage de la frontière et l’établissement anonyme au sein d’un groupe d’ accueil ;
2) l’exclusion de tous les avantages sociaux de la citoyenneté.
Dans le premier cas, les récits de l’entrée illégale en Guyane perçoivent les événements du passage comme un coup de chance. Pour certain.nes, tout s’est déroulé sans trop de problèmes, mais pour d’autres, cela fut vécu comme un véritable cauchemar.
L’itinéraire suivi suite à l’arrivée à Paramaribo, capitale du Surinam, consiste à prendre un taxi vers le fleuve Maroni, d’où il est possible de contacter des passeurs qui sont en général membres de minorités ethniques issues de communautés d’esclaves évadés des plantations des siècles passés.
Ces populations habitent les rives du fleuve et contrôlent la circulation navigable en pirogue. Sauf pour les deux villes frontalières, Albina au Surinam et Saint-Laurent du Maroni en Guyane, il n’y a pas d’autres postes-frontière.
Des patrouilles fluviales policent l’espace international, car en plus de contrebandes diverses, des conflits politiques au Surinam déstabilisent les communautés locales.
Le passage de la frontière comporte des ennuis divers dont les plus graves sont des extorsions, viols, enlèvements, vols, menaces …
« Pour payer mon voyage, ma maman a hypothéqué sa maison. Je suis entrée à l’âge de 16 ans par le Surinam. J’étais avec une dame et un monsieur le 6 juin 1982. A Paramaribo, en arrivant, les gens étaient agressifs. J’ai eu le « mal à la tête ». Après une nuit à l’hôtel, on est allé à la rivière. Un compatriote haïtien a pris mon argent pour payer le passage. Je ne connaissais rien, il m’a volé les 400 $ que j’avais. J’ai traversé avec le canot Saramacca . Un compatriote a tenté de me violer. ( Femme, 20 ans) »
« Au Surinam, ils parlent le Taki-Taki. J’ai traversé l’eau en bac (canot) pour 200F. Rendu au milieu il m’a demandé 100 F de plus sinon il me larguait à l’eau. La police de la douane m’a pris. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas venir ici et de retourner. J’ai dit: « Police, écoute-moi , j’ai deux enfants sans père. J’ai déjà une dette de 5000 F d’intérêts. J’ai 2 titres de propriété hypothéquée » . La police a pris mon passeport. Je ne suis pas retournée. J’ai pris un taxi pour Cayenne. ( F., 29 ans) »
La forêt guyanaise est le premier choc culturel subi par les immigrantes, jamais les Haïtien.nes ne s’étaient imaginé.e.s se retrouver ainsi en pleine jungle. Certains disent que des compatriotes déroutés cherchaient des camions pour aller à Paris, comme on leur avait faire croire au départ.
Au Surinam je suis restée cachée 4 jours dans la forêt et parfois il y a des bêtes qui nous mordent. ( F.29 ans)
Arrivées en Guyane, les immigrantes attendent la nuit pour prendre collectivement des taxis vers la capitale tout en tentant d’échapper à des postes routiers spécialement mis en place pour dépister les immigrant(e)s clandestin(e)s.

L’illégalité

La clandestinité c’est aussi et surtout l’illégalité qui, pour les immigrantes, se résume à un seul mot: les papiers. En résumé, la loi permet à une personne déclarée d’obtenir un permis de séjour et une carte de travail si un(e) employeur (e) cautionne la requérante. Dans ce cas, elle touche le salaire minimum  et a droit aux avantages sociaux telles allocations familiales, allocations de chômage, médecine gratuite, etc., moyennant que l’employeur(e) paie la sécurité sociale.
Or, le travail au noir comporte des avantages évidents pour l’employeur ( e), car non seulement les salaires sont moindres et sans paiement de sécurité sociale, mais il permet aussi de contraindre l’employée hors la loi, par les menaces possibles d’expulsion.
Comme la dépendance envers un patron est le seul moyen accessible pour obtenir des papiers légaux, le thème des « papiers « remplit nos entrevues et apparaît réellement comme le principal objectif des femmes, la clef qui ouvre la porte au travail bien payé et à la sécurité.
Évidemment que cette quête des papiers est en quelque sorte le Graal des émigrées.
En effet, « Des papiers cela ne s’achète ras chez le Chinois » (boutiquier) et la dépendance de la travailleuse face aux employeur(e) s est totale.
« Là où je travaille comme femme de ménage, toutes les conditions sont remplies pour régulariser ma situation, mais le patron attend de pouvoir coucher avec moi. (No 23, F., 23 ans) »
« Cela fait 6 ans que je travaille pour le même patron et il refuse de me déclarer » ( F. , 41 ans) .
En fait, des employeurs retirent de la paie des montants soi-disant pour les avantages sociaux qui ne sont en fait qu’une extorsion. 
« J’ai travaillé pour une femme blanche. Je travaille de 7 h 30 à 3 h 00. Après 6 mois qu’elle retire l’argent de la sécurité sociale, je suis allée chercher des papiers de s.s. Elle n’avait pas laissé assez d’ argent pour moi, elle n’avait déclaré que deux heures de travail par jour .Je leur ai expliqué que j’avais 5 petits . Ils n’ont demandé quelles heures j’ai travaillé, quels étaient les travaux …J’ai reçu une lettre de la sécurité sociale., madame voulait la voir. Ils sont venus faire enquête et ont fait payer la femme. Après 2 mois, elle m’a foutue à la porte et pourtant j’ai toujours bien travaillé. Pourquoi tout ça? (F., 43 ans ) »
« Depuis 1978 que je suis là. Je n’ai pas de papier. Sans papiers la police ne me connaît pas et ne peut pas faire de problèmes.
Même morte il y a des problèmes.
Une femme de Monjoly a été trouvée morte dans sa chambre tellement elle avait calculé. Il y a eu de grandes démarches pour faire venir l’ambulance, un camarade a marché je ne sais où. Ils ne furent pas intéressés à venir à la maison parce la madame n’avait pas de papier. (F ?)
C’est la capitale, Cayenne et sa région qui attire le plus les immigrantes, car il s’y concentre plus de 65% de toute la population de la Guyane.
Quoiqu’un certain nombre d’Haïtiens(ne)s se soient installés au centre-ville (selon Chérubini) ( 6) ) , il y aurait 20 ménages avec ou sans enfants, 5 ménages matrifocaux et 8 célibataires), la majorité est installée dans des quartiers périphériques où l’infrastructure est pratiquement inexistante et qui forment des sortes de micros-bidonvilles d’une vingtaine de baraques .
Depuis mon arrivée en Guyane il y a 2 ans, je vis chez ma sœur. Elle me soutient, elle me nourrit, elle me loge. Mais je n’ai pas de travail. (F., 25 ans) 
J’achète des cochons que je revends au détail aux Haïtiens. Le revenu ne me permet pas de répondre a mes besoins. (F., 41 ans ) 
Les femmes de Cayenne sont malpropres. La vaisselle peut rester deux mois sans être lavée, cela sent mauvais. Il faut que ce soit une Haïtienne qui entre dans la maison et sorte le cochon. Malgré cela nous ne sommes pas respectées. Nous sommes obligées de faire cela parce que nous sommes dans le besoin. Si un vieux chien meurt à Cayenne c’est un Haïtien qui doit le ramasser.
Ajoutons à ces tâches de ménagères, quelques femmes vendent des billets de borlette (loto).

Les Enfants

Les enfants constituent la principale charge sociale des femmes
J’ai charge de 8 enfants et les 6 autres de ma sœur. ( F. )
 J’ai quitté Haïti pour gagner de l’argent. J’ai trois enfants ici. Mon mari en a 3 en Haïti. Parfois je nourris mal les enfants ou même pas du tout pour partager avec ceux d ‘Haïti, pour « soutenir l’école ». ( F. , 29 ans)
L’âge moyen des femmes lors de la migration est environ 25 ans et c’est à cet âge qu’elles ont leur premier enfant en Guyane. Selon un médecin de la Protection maternelle et infantile les haïtiennes ont en général leurs premières relations sexuelles vers 25-27 ans alors que cet âge est inférieur de 7 à 10 ans à celui de plusieurs autres femmes de Guyane. Cet âge, relativement tardif, est certainement corrélé au contrôle social de la sexualité féminine dans le contexte haïtien, ce qui est confirmé par nos entretiens.

Médecin-chef

Selon le journal France-Guyane ( 25-5-82), le médecin-chef de la vénérologie à Cayenne, pense que « les réfugiées haïtiennes représentent 50% de la clientèle des dispensaires et les Haïtiennes sont 65% des mères qui consultent les P.M.I. Trente-six pour cent ( 36%) des naissances sont des enfants haïtiens » . Cette situation semble se poursuivre actuellement, mais à la différence que maintenant, les femmes qui n’ont pas de statut légal doivent verser 1500 F à 1800 F pour toute hospitalisation. Ces mesures furent établies après que l’opinion publique ait contesté la charge économique exercée par les soins aux étrangers sur les budgets hospitaliers.
Plusieurs femmes ne veulent plus d’enfants dans les conditions où elles vivent. Certaines réussissent à se faire avorter, mais cela coûte le prix de l’hospitalisation. Ces femmes consultent beaucoup pour se renseigner à propos de la contraception, la stérile étant le plus populaire. Les infirmières des P.M.I. soulignent les difficultés qu’ont celles qui cohabitent avec un homme, car disent-elles, ceux-ci s ‘ opposent à la contraception en général. De plus, les femmes chrétiennes hésitent à désobéir à leurs convictions religieuses anti-contraception.
Je suis une femme mariée, j’ai 2 enfants. Et c’est pour eux, c’est pour l’avenir de mes enfants que j’ai le plus d’inquiétude. Je travaille, mon mari aussi, mais nous n’avons pas de bons boulots. Juste de petites jobs. Ce n’est pas assez pour l’avenir de nos deux enfants. Qui pourrait nous aider ? (F.) »

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