De nombreux témoignages démontrent que le départ des femmes est une stratégie, une décision dans le but de surmonter des obstacles. Par exemple :
« Ce sont des « histoires » qui nous ont séparés, mais la vie difficile qui sévit en Haïti, les enfants qu’il faut envoyer à l’école pour lui inculquer une meilleure formation. Il fallait partir. Nous pensions que si nous partions que la vie pourrait être meilleure. Tout de suite elle s’est mise à réfléchir et de me dire que je n’ai pas besoin de me tracasser la tête que c’est elle qui partira ! »
Ce cas illustre le fait que selon nos propres estimations, la majorité des femmes (65%) ont émigré individuellement, d’autres sont venues rejoindre une parente (20%), une mère, parfois une tante et un(e) conjoint(e)/partenaire (15%). La décision de partir est liée aux diverses conditions de sous-développement local et régional et l’intention est manifestement de « chercher la vie », d’améliorer son sort personnel en risquant ses propres avoirs.
L’émigration est une décision surtout économique.
Ce cas illustre le fait que selon nos propres estimations, la majorité des femmes (65%) ont émigré individuellement, d’autres sont venues rejoindre une parente (20%), une mère, parfois une tante et un(e) conjoint(e)/partenaire (15%). La décision de partir est liée aux diverses conditions de sous-développement local et régional et l’intention est manifestement de « chercher la vie » , d’améliorer son sort personnel en risquant ses propres avoirs.
« Je suis venu en Guyane pour faire des économies pour terminer la construction de ma maison. Jusqu’à ce jour (6 ans plus tard) elle est encore en chantier. (Femme, 41 ans) »
« J’ai hypothéqué 2 titres de propriété que je n’ai pu récupérer après 2 ans ici « Ti trip kap valé gwo trip » (la petite tripe avale (la grosse) .( F ., 29 ans, commerçante en Haïti ) »
Celle-ci se fait dans un contexte social ainsi que l’illustre le premier cas ci-dessus et ceux-ci :
Pour venir en Guyane, mes parents ont hypothéqué un terrain. Je n‘arrive pas à rembourser pour récupérer le titre de propriété. (F., 27 ans)
Ma mère avait « plié bagage » et laissé 5 enfants à la maison: j’étais institutrice, mais en 1980 ma mère m’a fait venir parce que j’étais malade. (F., 29 ans)
Ma mère a hypothéqué une propriété pour financer mon voyage. Je suis venue pour travailler. (F., 35 ans)
Je suis en Guyane parce que j’avais 3 enfants à charge et que j’avais du mal à joindre les deux bouts. J’ai décidé de partir en faisant hypothéquer ma maison. Cela m’a pris 4 ans pour m’acquitter de ces dettes. (F., 38 ans)
Mon mari était ici depuis 1977. Il m’a fait venir en 1982 et il avait hypothéqué sa maison pour payer le voyage. Il l’a perdue parce qu’il n’a pas remboursé sa dette. (F. )
Comme nous pouvons le constater, la plupart des femmes se sont endettées pour faire le voyage. Parmi les coûts il y a des frais d’intérêts en général de 100% par année que les prêteurs exigent et dont les spéculateurs profitent pour mettre la main sur les terres et les habitations mise en gage. Ces « facilités » locales de crédits sont diffusées parmi les groupes locaux où l’intérêt pour la Guyane s’est développé en contrepartie à la fermeture des grands centres d’immigration et sous l’influence des rentrées d’argent envoyé par les émigrant(e)s en Guyane qui laissent croire au succès de leur entreprise migratoire.
L’émigration devient alors rapidement une solution envisagée par des réseaux communautaires entiers prêts à expédier certains de leurs membres à l’étranger.
Sur ce fond local se greffent des entreprises haïtiennes, des agences de voyages qui stimulent la demande et organisent l’émigration. Ces agences ont des organisations nationales permettant d’obtenir des passeports et des visas. Dans ce cas, le réseau s’étend internationalement, car il semble que pour entrer au Surinam, pays voisin de la Guyane, certains cadres politiques des deux pays aient facilité la vente de visas et le rachat de billets de retour.
Cela est confirmé par l’arrestation de deux personnes, membres d’une filière de l’immigration clandestine haïtienne venant du Surinam.
Selon France-Guyane (13-11-84), 129 billets d’avion furent saisis. Ces billets de retour Paramaribo -Port-au-Prince étaient dans une valise à double fond et furent rachetés à des titulaires ayant franchi clandestinement la frontière. Ces billets pouvaient être remboursés ou changés pour des billets « aller » pour d’autres clandestins.
Il ne suffit donc pas de dire que l’émigration des femmes haïtiennes vers la Guyane est une migration volontaire et individuelle, car comme nous venons de le voir, cette émigration s’inscrit au sein de réseaux verticaux liant la décision individuelle aux conditions sociales familiales, locales, régionales, nationales et internationales. Dans ce sens l’émigration devient une stratégie populaire de développement intégrée à des intérêts financiers particuliers ayant eu une tolérance sinon acceptation de l’État.
Le processus migratoire des femmes peut prendre deux formes, l’une légale, l’autre illégale. L’entrée légale comporte des restrictions évidentes et seules quelques femmes parraines par un ou une immigrant.e légale ont pu le faire. Toutes nos informatrices étaient des immigrées « non documentées », des clandestines.
L’émigration apparaît comme une stratégie populaire de développement. Cependant, le contexte des migrations est relatif aux conditions objectives de vie dans les pays hôtes. Le cas des Haïtiennes de Guyane permet de montrer qu’il s’agit d’un type distinct des migrations vers les pays industriels et que malgré les complémentarités déductibles des approches macrosociologiques, l’étude des organisations sociales de base peut dévoiler des discontinuités importantes.
La première caractéristique du cas étudié est l’émigration volontaire de femmes individuelles ayant accès à des sources financières. Ce processus indique que ces femmes ont évalué leurs chances stratégiques d’améliorer leur sort par voyage qui dure toujours. Le Haïtien n’a jamais fini de visiter, un an , deux ans, cinq ans, il est toujours en visite .
En plus de ces problèmes économiques, il faut mentionner le choc culturel inattendu subi par les émigrantes. Non seulement y a-t-il un dépaysement géographique, mais, malgré la ressemblance des cultures créoles, les différences ethniques, la discrimination et la ségrégation produisent un effet dépersonnalisant par le mépris perçu quotidiennement par les Haïtien(ne)s.
La semaine dernière sur le chantier, un Guyanais m’ a traité de sale nègre. Qu’avons-nous fait à ces frères pour qu’ils nous méprisent? Il y a longtemps nos ancêtres communs sont partis en esclaves des côtes d’Afrique vers le Nouveau-Monde. Pourquoi ici, les gens ont oublié notre histoire?
Plusieurs femmes voudraient s’organiser, « met têt ensemble » et pour tenter d’améliorer leur situation et offrir une voix de femme aux revendications immigrantes.
Avec peu de moyens il sera toutefois extrêmement difficile aux quelques militantes de regrouper ces « femmes haïtiennes en Guyane qui sont comme le cabri dans la savane, elles n’ont pas de maître ». ( 8 )