Akpatok: l’entomologiste et le chasseur inuit

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carte akpatok itiner
Akpatok est un île de la baie d’Ungava près du détroit d’Hudson au Nunavut. De Montréal vers Kuujjuaq ( Fort Chimo) puis Kangirsuk ( Payne ) et à Akpatok

Cette année-là, en juillet 1965, je me retrouve sur l’île Akpatok  dans la baie d’Ungava au Nunavut.

Avec un équipage Inuit et un groupe de géographe, j’ai observé la chasse aux morses et à l’ours polaire alors que j’étais un apprenti entomologue, un chasseur d’insectes.

J’avais obtenu du matériel d’entomologie du campus Molson aujourd’hui partie de l’université Concordia  : poisons, fioles , pinces, enveloppes etc.

Collectionner des insectes dans l’arctique semble étrange pour qui ne voit pas la flore et sa faune à plat ventre, au ras du sol.

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Le point de vue de l’entomologue

 

Sur la photo de gauche, le carex ou coton arctique ériophoron et à droite, une variété de saule,  Salex artica  de 2-3 pouces de haut et de 1 -3 pieds de long, car il pousse à l’horizontale et peut avoir 25 ans d’âge.

Les principaux animaux que je trouvais étaient des araignées, membres de la famille des arthropodes qui nourrissent, entre autres,  les oiseaux migrateurs insectivores. Mais il y en avait beaucoup d’autres. Elyssa Cameron, entomologiste de l’Arctique en a compté  plus de 80 000 – araignées, acariens, collemboles, mouches, papillons de nuit, abeilles, guêpes, scarabées ..»

J’étais donc chasseurs d’insectes au pays des chasseurs des gros mammifères : ours , morses, phoques, baleines, caribou…un certain ridicule n’a donc pas échappé aux Inuits que j’accompagnais.

L’ironie Inuit est bien connue et il ne leur fallu pas longtemps pour rire de moi le « grand chasseur blanc ».

Mais de mon côté aussi, la chasse inuite me questionnait au-delà du contraste entre les d’une part les petits insectes et d’autre part, les plantes  et la marée de sang de la tuerie d’un morse. Ce saut qualitatif repose sur l’absorption d’un choc culturel majeur, je voulais la protection de la faune et eux, voulaient la récolter.

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Le point de vue du chasseur de morse

Le biologiste recherche les formes d’adaptation des espèces dans leur environnement, les équilibres des écosystèmes et qui évoluent à long terme.

La présence humaine est-elle perturbatrice, la chasse est-elle intégrée à l’écosystème ou bien une prédation excessive qui fera disparaître plusieurs espèces de l’écosystème?

Je me suis débattu longtemps avec ces questions suite à Akpatok . Ce fut même l’une de mes questions d’examens compréhensifs au doctorat anthropologie.

Je n’étais pas particulièrement concerné par la mort des minuscules araignées dans ma bouteille d’arsenic et de leur ensachement, mais malgré mes sentiments mitigés, je ne pouvais pas considérer la mort d’une femelle ours et de ses deux petits comme un massacre. Pourquoi l’insecte indiffère alors que l’ours émeut ? Qui étais-je pour juger de cette pratique ancestrale? Mais, tout de même, cela m’a marqué et c’est devenu un point de référence pour penser les rapports culturels à la nature.

Je me suis retrouvé sur cette île par hasard. Après mon diplôme de premier cycle en biologie, j’ai voulu faire une étude de terrain en «ichtyologie » le nom du domaine de l’étude des poissons avec l’abbé Étienne Nicolas Magnin. Venu de France et arrivé en 1964 à Montréal, ce professeurs étudiait l’esturgeon du St-Laurent, s’intéressait au Nord pour devenir plus tard en 1973, directeur du laboratoire d’écologie de la Société de la Baie James .

Je suis donc allé à Kuujjuaq, ancien Fort Chimo, sur la rivière Koksoak .

couche soleil

Images de Chimo

Le projet portait sur la migration de l’omble arctique. Je devais faire deux choses: identifier les poissons (les mesurer, les peser, prélever des écailles) et récupérer des contenus stomacaux. Les premières me donneraient l’âge du poisson et les deuxièmes ce qu’ils mangent, les restes d’insectes.

carnet notePour faire le travail, j’ai demandé la permission à la coopérative de pêche locale  de  me permettre de prendre des échantillons de leurs captures. Ce qui fut accepté à la condition que j’attende la fin imprévisible d’une grève de fonctionnaires qui avait bloqué les congélateurs.

J’étais aussi interdit de recherche, mais un groupe de géographe venait d’arriver de Québec  pour se rendre  ensuite à  l’île Akpatok pour étudier la géomorphologie des phénomènes d’émersion post-glacière. Le directeur, M. Robitaille, m’a proposé de les accompagner ce que j’ai apprécié, car j’avais un petit projet comme plan B: recueillir des échantillons d’insectes.

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Enfants venus accueillir l’hydravion.  Déjà en accostant , on m’a donné le surnom un peu ridicule Paterk qui signifie, selon ce que j’en ai su, maigre comme le chien de tête qui doit courir plus que les autres pour diriger la meute.

Nous sommes parti pour Kangirsuk en avion Canso et ensuite en bateau schooner, un Peterhead, jusquà Akpatok.

Vue de l’avion Canso

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capitaine

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ak nuage

Aperçu de l’île ombrageuse

 

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Débarquement sut l’île avec le Peterhead au loin

Découverte de l’île Akpatok

 

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Diapositive32Notre camp: grande tente pour M. Robitaille et et Mme Dorion-Robitaille également géographe, une autre petite pour un étudiant géographe et une autre petite pour moi. Les Inuits dormant sur le bateau.

Comme on le voit sur les photos, l’île est comme une forteresse de falaises, occupées par les nids de milliers de guillemots, mais les Inuits savent où se trouvent les accès  pentus au sommet.

 

homme sur la pente
Passage pour grimper au sommet avec un collègue en route.

homme pente

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Une plage soulevée à 200 mètres au dessus de la mer : les vagues ont laissé des ondulations et on y trouve des fossiles de coquillages

La chasse

chasseur bord eau

 

 

 

M. Sammyly observe le large et semble mesurer la tâche qu’il devra accomplir au moment de la chasse

 

 

 

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Exploration des environs  à la recherche de proies.

 

 

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Deux morses apparaissent, leur tête dépassent la surface de l’eau et sont immédiatement repérés par les chasseurs. Le hors-bord les approche rapidement, un chasseur tire, un morse coule, mais l’autre est harponné.

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Le harpon est attaché à un jerrican, un baril d’huile vide, qui sert de flotteur.

 

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On arrive avec le Peterhead. Pour me stabiliser contre le tangage, je me m’étais installé à cheval sur le mat couché afin de prendre des photos de l’événement. Étourdi par les gaz du diesel, j’avais aussi la nausée des néophytes en mer.

Épuisé, l’animal offre peu de résistance et il est attaché vivant au bord du bateau. Petite tête pour des centaines de livres de chair. Je suis tout près. On se regarde, lui agonise et moi je ne suis que curieux. Je me penche pour m’approcher et je touche son museau. Ses barbes sont solides comme des attaches de nylon. Il s’en sert pour racler le fond de la mer à la recherche de coquillages. Il respire fort, probablement une hémorragie interne.

Tout à coup, il se racle la gorge et d’un coup, il me crache au visage le plus gros  «morvia» possible, gros comme une assiette, gluant et baveux. Aussi sec, je lui vomis dans la face en réaction. Ce n’est pas très beau, mais cela semble très drôle pour l’équipage.

Pour le ramener à terre, le cadavre est tiré à marée haute au plus près de la berge et, arrimé la jusqu’à ce que la marée baisse et qu’il soit accessible pour la boucherie.

Le boucher aiguise son couteau et on voit la disproportion à ses pieds entre la nageoire de l’animal et lui-même. J’observe le processus de boucherie.

 

Carcasse et et organe génital mâle.

tete morse

morse estomac

Tête et contenu de l’estomac

 

 

La chasse à l’ourse

Un bon matin, un chasseur remarque une piste d’ours près de nos tentes. Était-il  était passé par là récemment où cette nuit même ?

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Sachant reconnaître la piste de l’ours, les chasseurs la suivent et découvre une grotte fait d’un banc de neige qui recouvre une cavité.

homme formation

La stratégie consiste à faire sortir l’animal de sa cachette et à le pousser à se jeter dans la mer afin de prendre le dessus sur lui. Comme c’est extrêmement dangereux, ils nous éloignent pendant que leurs coups de fusils en l’air réussissent à apeurer l’ours qui se rue sur une banquise et se jette à l’eau.

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Il s’agit d’une femelle avec deux petits.

ourses et petits

 

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Elle est alors poursuivie par le bateau-moteur et repoussée vers la grève à la marée basse où elle est abattue et dépecée.

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La consommation

Du morse, les chasseurs ont consommé le foie et le cœur et ramènent des poches de gras, de viande et de peaux. De l’ours la peau seulement et moi, la tête comme spécimen.

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Pendant que je fais bouillir la tête pour enlever la viande, Mme Dorion fait semblant de se servir.  La blague enlève un peu du macabre de la situation.

Aussitôt arrivé à Kangirsuk ( Payne ), le capitaine apporte la peau d’ours à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Je suis étonné, (je me demande pourquoi?) on le paye en crédit d’achat. Il remplit des boîtes avec des conserves, des boisson sucrée et des friandises qu’il rapporte à sa famille.

Voilà le scénario de mon questionnement sur la capacité pour un biologiste de comprendre la réalité vrai, le monde est habité depuis des centaines de milliers d’années par des humains dont 90% du temps a été passé en vivant de la chasse, la pêche, et la cueillette donc, en tant que «forageur» selon l’anthropologue Richard Lee .

La relation homme-animal  est d’une complexité incroyable puisqu’elle implique non seulement la question alimentaire, mais surtout, une vision du monde, de sa création et de la place imaginé des humains par rapport à la nature par les religions. Elle implique aussi le développement de la science comme moyen d’exploration de la nature.

Il était impératif pour moi de mettre de mettre de l’ordre dans ces réflexions : entre l’animal machine et l’animal sacralisé, il y a beaucoup à méditer mais , peut-être qu’une petite introspection personnelle sur nos relations avec le monde vivant aiderait à mieux penser ces relations ?

 

 

 

 

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