Missionnaires, Explorateurs et Ethnologues chez les Bari du Venezuela

Ce texte à caractère autobiographique explique comment j’ai été intéressé par l’anthropologie  suite à la prise de conscience de la violence des rapports de domination entre sociétés et cultures différentes.

En 1964, à 21 ans, j’ai participé avec des amis à un voyage d’« exploration » qui nous a menés à travers l’Amérique centrale jusqu’au Venezuela, chez les Bari, Amérindiens récemment « pacifiés ».

arrive bari                                                          Arrivée à la lisière de la Sierra

Étudiants en biologie, nous avions voulu prendre expérience de l’écosystèmes tropical, une notion nouvelle en biologie et en géographie.

C’est en constatant de visu les méfaits de la colonisation culturelle sur l’adaptation d’une population amérindienne à son environnement que j’ai voulu en savoir plus et que finalement, j’ai découvert l’anthropologie et à quoi servent les ethnologues. 

Le sens du voyage

Le sens général de ce voyage se trouvait certainement dans l’aura scientifique du lointain que la culture des « Sciences et Voyages » nous proposait et qui était diffusée par certains de nos professeurs (ex. Paul Pirlot note 1 ) et par nos lectures (ex.  Alain Gheerbrant note 2). L’aspect  machiste de la « découverte de soi » par la mesure de ses limites lors «d’épreuves d’habilité » n’était cependant pas absent de notre perception de sa signification.

Nous étions 5 garçons du temps des Beatles et du Che. D’où le look. Chacun avait son rôle : Réal Daoust éduqué sur une ferme était le mécanicien, Paul Thibault issus du milieu commerçant était organisateur et conducteur de véhicule, Gaétan Brault en lien avec des artistes était le photographe, Serge Payette, le plus cultivé, fut l’historien et moi-même, cuisinier et interprète. J’aimais les langues étrangères et j’avais potassé l’espagnol pendant l’année, surtout à l’aide d’Assimil.

depart retour

L’objectif était de se rendre par la route à Panama de Montréal et de traverser ensuite vers la Colombie et le Venezuela où nous voulions rejoindre l’Orénoque et tenter de sortir de l’Amazonie par la Guyane française. Un rêve idiot qui ne fut pas achevé, mais qui est resté très vivant dans mon imaginaire.

Nous avions réuni des fonds de quelques philanthropes, mis nos avoirs en commun (j’avais retenu les montants de ma scolarité que j’ai remboursés plus tard avec pénalité), fait une entente avec un journal local pour raconter nos progrès dans une chronique publicitaire et obtenu le prêt d’un grand camion de laitier d’un revendeur de voitures usagées.

 

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Impensable de naviguer sur le rio Caura au Venezuela en canot et pneumatique  ?

Notre photographe attitré, Gaétan Brault (les photos sont de lui), avait pu obtenir le prêt d’une ciné-camera de l’Office National du Film et suffisamment de pellicule pour réaliser un documentaire.

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Port de Colon, Panama: petit bateau, camion trop gros

Rendu au Panama, il était impossible de mettre le camion sur l’un des caboteurs se rendant en Colombie, cela coutait trop cher.

Nous avons donc décidé de le laisser à Panama City et de prendre l’avion jusqu’à Maracaïbo. Rendus sur place, nous réorientons le projet vers une région des montagnes de la Sierra Perija où, semble-t-il, nous pouvions visiter une communauté amérindienne récemment pacifiée : les Motilones Bravos.

L’expédition

Pour nous rendre à destination, et pour transporter nos bagages, nous avions loué des mules et suivi le chemin montagneux vers la mission de Tukuko et  les premiers villages.

Il suffit de regarder les photos de notre séjour pour réaliser que nous nous renvoyions une image typique d’explorateurs en herbe. La dimension « enfer vert » de la densité de la forêt, la manipulation des mules, l’habillement de surplus militaires, la barbe, en cumulent les signes évidents.

Après une première nuit dans un campement de fortune, les hamacs attachés aux arbres et recouverts d’une cape de pluie, nous reprenons la route vers le premier établissement.

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Campement

Les Bari

Le nom Motilones est d’origine coloniale et ce n’est que plus tard que j’ai appris à les nommer par leur nom propre : Bari.

Quelques jours chez les Bari

Dès notre arrivée au premier établissement Bari, nous avons découvert que certaines familles vivaient à la mission, mais que d’autres habitaient toujours dans des Bohios, sortes de maisons-longues occupées par plusieurs familles.  Nous avons donc continué jusqu’à l’une d’elle situé plus loin.

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Mission Tukuko

 

Cette habitation, la Bohio en espagnol ou Karora en langue Bari, me faisait penser à celle des Wendat-Hurons du Canada qui construisaient aussi de vastes demeures collectives avant la colonisation.

Cette maison longue d’une douzaine de mètres de hauteur et une trentaine de longueur par une dizaine de largeur avait de la place pour une vingtaine de ménages, les dimensions pouvant varier selon le cas.

bohio

Installés à l’intérieur, près des portes et séparé des autres par des espaces vides, nous avons compris qu’il ne serait pas possible pour notre cinéaste de filmer la vie quotidienne dans la maison parce qu’il faisait trop sombre, les spots ne pouvant suffire. Un monsieur Bari ayant bien essayé de faire une ouverture en tassant des feuillages du toit, cela ne suffisait pas.

toit

Le projet de documentaire tombait à l’eau, surtout que, je crois, notre mauvaise conscience devant notre invasion de la privauté des gens devenait insupportable.
Nous sommes donc repartis assez rapidement, retournant au Panama reprendre notre camion et filer sur la transaméricaine jusqu’à Montréal.

Ce premier contact avec des personnes dont la culture était drastiquement frappée par l’intrusion de la culture occidentale m’a ouvert les yeux. L’été suivant, lors d’un stage de biologie chez les pêcheurs inuits de l’arctique québécois, j’ai encore constaté une situation comparable à celle des Bari.

Bien que ce voyage n’avait aucune valeur anthropologique et ne témoignait que de l’inexpérience des « explorateurs » à la recherche d’exotisme, cela ne voulait pas dire que nous étions complètement innocent et ignorant toute critique sociale.

Au contraire, nous avions conscience des questions du maldéveloppement du « tiers monde » et du rôle des clergés dans la manipulation des gens.

Payette était agronome (Daoust itou) et nous avait fait connaître René Dumont agronome tiers-mondiste et auteur de « L’Afrique noire est mal partie1962 (Le Seuil, Paris »

Le Québec a fourni plus que sa part de Pères Blancs et de missionnaires. À Panama, nous avions rencontré un missionnaire canadien et été invités chez lui à manger, il nous avait entretenus de sa mission. Il avait raconté sa réaction devant un vieil « Indien » mourant qui voulait les derniers sacrements et surtout le son des cloches qui l’emporterait au ciel. Mais, avant il devait renier une de ses deux épouses en échange. Comme il n’a pas pu, le « bon père » lui a refusé les cloches et dit : des gens comme cela, pour moi, c’est dans le trou » prononçant ainsi sa damnation éternelle !

« … des gens comme cela, pour moi, c’est dans le trou »

Au retour, cherchant à m’informer sur ces situations, j’ai appris que ce sont les anthropologues qui discutaient de ces situations et qu’à la différence des historiens, ils privilégiaient la présence sur le terrain pour faire leurs recherches comme ce que je préférais faire en biologie.

L’Université de Montréal venait d’ouvrir un département d’anthropologie et en 1968, je fus accepté en maîtrise pour étudier la génétique des populations sous la perspective de Jean Benoist qui étudiait les relations entre la culture, le social et la biologie humaine.

Je découvris alors des publications scientifiques à propos des Bari.

En effet, un an après mon passage, des ethnologues professionnels, français ont étudié la situation des Bari et leur organisation sociale. R. Jaulin et S. Pinton, suscitèrent un vif débat public sur les responsabilités des sociétés occidentales envers la survie des petites sociétés dans le contexte de l’acculturation et de la colonisation.

ecology

Plus tard, vers 1970, un anthropologue américain et un Vénézuélien, Stephan Beckerman et Roberto Lizaraldo, ont approfondi la connaissance des Bari, leur écologie et leur organisation sociale.

Je leur dois tous et toutes cette mise en perspective anthropologique de mes brèves notes et des photos prises chez les Bari en 1964.

 

 

Qui sont les Bari ?

Les Bari parlent le chibcha, une langue apparentée aux langues de la famille linguistique caraïbe. Ils furent surnommés « Motilones Bravos », les sauvages, par les colonisateurs car ils leur résistèrent violemment jusqu’en 1964, année de notre visite.

Ces tentatives de domination duraient depuis l’époque de l’explorateur allemand Alfinger, en 1929.

Comment les Allemands se sont-ils retrouvés au Venezuela ?

Le Venezuela a été colonisé par les Espagnols et les Allemands. Vers 1522, Charles Quint, en guerre avec la France, s’endetta auprès des banquiers allemands. En 1528, il hypothèque la colonie à la Banque Welser, qui obtint en compensation les droits miniers et les droits sur la main-d’œuvre amérindienne réduite en esclavage. Pendant 18 ans, les capitalistes exploitèrent le territoire au maximum, à un point tel, dit-on, que l’Espagne reprit la colonie selon eux, pour limiter les abus.

Mais on leur a imposé l’encomienda, une politique indigène espagnole qui consistait à christianiser les « païens » et assimiler les Amérindiens en les faisant travailler.

Pendant cinquante ans (1772-1818), plusieurs villages ont été amenés dans des « réductions », sorte de réserves gérées par des missionnaires Jésuites qui furent abolies parce que cela embêtait les autres coloniaux qui ne pouvaient exploiter cette main d’œuvre à volonté.

Ce fut alors la période de l’invasion des compagnies pétrolières. La région du lac Maracaibo est riche en huile et les compagnies prospectaient la région et en ont trouvé sur le territoire Bari où passaient des pipelines. Ce fut le temps de la résistance armée et des guerres Bari entre 1912 et 1959.

La majorité des communautés ont pu survivre à la marge du système capitaliste et ce n’est que l’été de 1960 que Roberto Lizaraldo a pris un premier contact pacifique avec eux.

Peu après, une autre période de pacification fut mise en œuvre par des missionnaires capucins qui les ont persuadés de s’établir à proximité des missions. Ils auraient été environ 1,500 personnes en 1964.

Mes observations illustrées par nos photos ont pris leur véritable sens avec les explications de Pinton et Jaulin. C’est en comparant la vie dans la karora Bari avec celle de leur résidence à la mission que les impacts des changements deviennent visibles et évidents. Ce qui semble de simples changements architecturaux agit sur la capacité d’un groupe de se prendre en main et d’assurer sa survie.

De semi-nomade à sédentaires

Le mode de vie des Bari oscille entre la stabilité et la mobilité : leurs maisons sont dispersées sur un grand territoire et ils circulent entre elles selon les circonstances.

femme enfant

Les familles utilisent un territoire de 400 à 1 000 km carrés. Elles se déplacent sur ces terres selon les saisons : elles occupent des maisons près des rivières poissonneuses durant la saison sèche et, durant la saison des pluies, elles s’éloignent des torrents et occupent des maisons en hauteur.

Diverses autres raisons tels l’état des jardins, les relations entre les familles, la malchance attribuée à la présence de mauvais esprits ou les relations interethniques peuvent motiver des déplacements entre différentes maisons.

Leur organisation sociale était donc très décentralisée et peu capable de se confronter à armes égales avec les organisations politico-militaires pyramidales qui leur ont fait face. Ils ont quand même résisté de toute leur force, mais ils furent vaincus avec l’aide des missionnaires qui ont pu concrétiser leur promesse de vie éternelle en s’appuyant sur des soins médicaux et à la condition qu’ils changent de mode de vie.

Le travail des missions s’est d’abord attaché à fixer à un endroit contrôlé par eux, une population dont l’adaptation reposait sur une vie semi-nomade adaptée aux circonstances tant écologiques que politiques.

L’ordre social dans la Karora

L’aménagement de la maison, comme partout ailleurs, reflète les relations sociales de ses résidents.

L’architecture est un procédé technique fortement social et ses productions reposent toujours sur des représentations culturelles. Chez les Bari, l’utilisation de l’espace domestique repose sur les règles qui ajustent les relations entre genres, âges et responsabilités. Des valeurs tel le respect de l’intimité, l’équivalence entre les statuts sociaux et une division sexuelle du travail équilibrée.

La karora est une sorte de maison-village construite en lattes de bois recouvertes de feuilles de palmiers. Les murs descendent jusqu’à terre ne laissant que deux portes basses à chaque extrémité.

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Photo porte karora

Les dimensions d’une maison peuvent atteindre 5 à 15 mètres de hauteur, 10 à 45 mètres de longueur et 6 à 20 mètres de largeur. Entre 40 et 80 personnes, réparties en 10 à 30 ménages, y habitent. La durée d’utilisation moyenne d’une maison est de 10 ans.

L’architecture de la karora a une histoire, elle a été héritée des ancêtres dont la maison primordiale s’inspirait d’un ananas coupé sur la longueur.

La décision de construire une maison repose sur les épaules d’un individu capable d’en convaincre d’autres de l’aider. La fonction de « chef » de chantier ne repose pas sur sa capacité à commander et aux autres d’obéir, les décisions se prennent par consensus.

Par exemple, la personne qui a démarré la construction d’une maison a le titre de nyatubay. Le nyatubay ne fait que planifier la structure de base de la maison et tous les gens qui travaillent à la construction ne reçoivent aucun ordre de travail, ils font spontanément ce qu’ils pensent nécessaire de réaliser.

La famille du nyatubay habitera près d’une des portes. Le chef de la famille qui occupera l’espace près de l’autre porte aura le titre d’isadora.

Ces deux personnages représentent les limites de l’espace social. En effet lorsque le groupe marche en file dans un sentier, le premier ouvre la marche et le second la ferme.

L’intérieur de la maison est divisé en cercles concentriques : au centre, plusieurs foyers alignés sont entourés d’un couloir permettant à chaque famille de cuisiner et de circuler. Cette aire est entourée d’espaces familiaux où sont suspendus les hamacs.

foyers

Photo foyer central

Il n’y a pas de séparation mitoyenne entre ces espaces domestiques ; seules la discrétion des attitudes (les enfants ne doivent pas déranger les familles voisines), la pénombre permettant de créer une division virtuelle protégeant précieusement l’intimité de chaque famille.

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Photo espace famille

Dans ces maisons, les hamacs où couchent les gens sont suspendus selon un ordre vertical précis : les femmes travaillent couchées par terre et leurs hamacs sont placés très bas près du sol. Les hommes placent leurs hamacs un peu plus haut, à environ un mètre du sol. Les petits enfants dorment juste au-dessus d’eux alors que les adolescents célibataires sont installés près du pignon de la maison.

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Photo femme par terre

Quel fut l’impact de la modernisation architecturale ?

La vision de la maison qui associait l’horticulture et la vie semi-nomade fut remplacée par l’idée d’une résidence sédentaire simplement fonctionnelle. Jaulin et Pinton identifient plusieurs valeurs concernant la qualité de vie dans cette maison : lieu de détente, de confort, propreté, lieu de travail, lien à la tradition.

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Le toit de tôle fait un vacarme infernal sous la pluie alors que le toit de feuille est apaisant

 

En la remplaçant par une maison-dortoir, les missionnaires ont bouleversé toutes ces valeurs et désorienté la vie sociale des Bari. C’est sur les relations de genres que cet impact semble avoir été le plus radical.

 Changer les relations femmes-hommes

Les Bari ne mémorisent pas leurs généalogies, ils s’en tiennent aux personnes connues. C’est la famille qui est l’unité sociale autonome de base. Chacune assume toutes les activités socioéconomiques nécessaires à sa survie.

Lors de la construction de la karora, chaque famille travaillait sur la partie qu’elle habitera. Chacune se charge de produire ce dont elle a besoin sur ses propres champs.

Plusieurs tâches sont mixtes et la seule répartition du travail est une certaine spécialisation selon le sexe. Mais la vie avec les missionnaires a changé cette division du travail entre les sexes, elle s’est formalisée et rigidifiée.

La division du travail s’opérait entre les activités masculines de la fabrication des flèches et de la chasse et l’activité féminine du tissage et de collecte de végétaux.

chasseurs habiles

Fabrication de flèches

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bracelet

Photo tissus solides

En s’établissant dans les fermes de la mission, ce savoir technique n’était plus utile et devenait désuet.

D’autre secteurs d’activités de subsistance furent aussi touchés. Par exemple, les Bari pratiquaient une pêche collective en faisant des barrages sur la rivière et chaque famille gardait ses prises. Cette pêche était un lieu de collaboration entre les sexes qui a pris fin avec la sédentarisation puisqu’on ne va plus aux maisons proches des rivières. La fin de cette pêche a donc accentué la séparation entre les sexes.

Autre exemple. Dans les nouvelles maisons, la cuisine est séparée du reste pour, dit-on, des raisons de sécurité contre les risques d’incendie. Cette réorganisation sépare encore plus les hommes et les femmes, surtout  à l’heure des repas.

Les repas de familles d’autrefois ont été remplacés par des repas pris en commun sur une même table. Ce confinement engendre des disputes et favorise l’émergence de relations d’autorité. Dans ce contexte, les hommes préfèrent souvent manger à part des femmes.

coin famille

Photo table mission

table mission

 

De plus, la relation d’équivalence entre les hommes et les femmes a été renversée par la survalorisation du rôle social des hommes avec l’imposition de chefs plus autoritaires dans le cadre de familles patriarcales.

Les Pères Capucins ont confondu les leaders traditionnels consensuels avec le rôle de chef hiérarchique. Ils voulurent que les leaders consensuels dirigent des   travaux   collectifs comme le nettoyage des pâturages, les soins les vaches, la cuisine, etc.

Comme le leader Bari ne peut commander et n’entraîne les autres que par son exemple, le nouveau « chef » était obligé de tout faire lui-même sans exiger de l’aide qui ne venait pas dans ce contexte. Les activités demandées n’ayant pas de sens pour eux.

À la mission, seuls les hommes ont accès au travail salarié ; les femmes qui en sont exclues deviennent dépendantes des hommes pour obtenir l’argent du ménage. Elles perdent donc leur autonomie économique d’autrefois. Les hommes peuvent vendre les produits agricoles et artisanaux de la famille et contrôlent ainsi l’échange et le travail des femmes.

Les femmes cueillaient 23 types d’aliments végétaux. La dévalorisation et la diminution de cette activité féminine a même entraîné la malnutrition chez les enfants.

malnutrition

Les nouvelles normes vestimentaires chrétiennes ont imposé le port de vêtements occidentaux ce qui amène un travail supplémentaire de lessive pour les femmes.

Le travail du métier à tisser par les femmes se faisait à l’abri, dans la maison. Le métier était toujours à la portée de la main, facile à planter dans le sol de terre. Le plancher de ciment dans les missions empêche d’utiliser le métier et donc de fabriquer les tissus résistants traditionnels. Les   nouveaux vêtements de tissus importés s’usent rapidement et sont difficiles à entretenir. Même si l’habit ne fait pas le moine, ces nouveaux habits deviennent rapidement des hardes dépareillées.

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De plus, les repas qui étaient servis sur des feuilles jetées après usages le sont maintenant sur des assiettes de métal qui doivent être lavées.

La famille assumait également l’éducation des enfants et fournissait les soins médicaux pour ses membres. Mais la mission envoie les garçons étudier à la ville qui ont ainsi plus de chances d’améliorer leur sort que les filles.

Les femmes ont perdu leur pouvoir traditionnel de guérisseuse ; les nouvelles médecines étant administrées par les hommes. Par exemple, les médicaments pour les soins des yeux sont donnés aux hommes pour qu’ils les administrent.

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Photo  femme-médecin

Durant les fêtes, on chantait pendant plusieurs jours, les femmes louangeaient leurs produits, les hommes, les leurs. La production de chaque sexe était valorisée et des échanges de flèches et de produits artisanaux avaient lieu. La symétrie des relations entre les sexes fut modifiée par la marginalisation des occasions festives.

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Photo flutiste

Somme toute, les tâches des femmes semblent s’être accrues de façon significative depuis le temps de la maison collective.

Conclusion

On ne naît pas anthropologue, on le devient. Nous sommes tous et toutes le produit de notre éducation et des valeurs de la culture ambiante.  Ce récit autobiographie est une façon de montrer comment on peut prendre du recul face à soi .

Mis en perspective anthropologique, il a permis un éclairage en retour, principalement sur mes rapports à l’histoire de ma famille et celle du Canada.

Je n’ai jamais avalé le mythe du Canada colonial des cours d’Histoire du Canada enseignée à l’école.

Comme Bernard Arcand et Sylvie Vincent l’ont démontré, l’image des Amérindiens a été dégradée dans ces manuels. L’image de leur cruauté présente dans l’imaginaire des catholiques fut transmise par des représentations atroces des bons missionnaires torturés pas les Iroquois.

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Photo jésuites torturés par les Iroquois : https://www.maintenantunehistoire.fr/les-martyrs-jesuites-dans-le-canada-du-xviie-siecle/

Ces clichés furent repris avec force par les médias et la télévision naissante des années cinquante qui en ajoutait une couche supplémentaires avec les films et séries westerns de lutte entre les cowboys et les Indiens.

Ce fut mon monde infantile de 1943 à 1955. L’identité des enfants de mon milieu social était construite sur la différence entre les « Indiens, homme rouge et Sauvages » et les « Canadiens, Hommes Blancs et Civilisés (Catholiques étant son synonyme) ».

Le « hic » dans cette transmission culturelle était que je vivais dans une famille reconstituée par mon père veuf d’une femme amérindienne avec deux enfants et ma mère canadienne.

Mon identité ne se construisait donc pas contre mes demi-frères et sœurs, mais sous la leur, car je les admirais. Les actes de racisme auquel ils étaient parfois confrontés étaient ridiculisés par eux, surtout par ma grande sœur qui pouvait faire son cri indien pour effrayer les enfants stupides du coin.

C’est pourquoi, malgré les beaux habits et révolvers de cowboy que mon père m’avait donné pour jouer dehors, je fabriquais, avec l’aide de mon frère, de beaux arcs multicolores décorés de plumes et des flèches de petites branches droites avec des bouchons de coke écrasés au bout. Je jouais généralement le rôle de l’indien dans mes combats de ruelles.

Cet infra-identité culturelle était un peu plus complexe quand on la met en perspective de l’influence de mes amis d’origine étrangère (Italiens) ou protestante (Écossais). Les différences culturelles n’étaient pas une frontière.

Les années cinquante furent une période de chaude lutte entre le contrôle de l’Église catholique et l’émergence de l’état laïc au Québec. Dans les années soixante, je fus  emporté par la « Révolution tranquille » qui m’a ouvert les portes de l’éducation supérieures en biologie et en anthropologie.

L’éclairage en retour de l’expérience et des lectures Bari m’a ouvert à un nouveau langage, celui de l’anthropologie et a une nouvelle vision politique permettant de critiquer les fausses valeurs biaisées par le colonialisme qui nous étaient transmises.

À partir des enseignements des Bari, Jaulin avait ouvert une brèche profonde dans l’indifférence face à ces situations. Il avait remis à jour la notion d’ethnocide qui, en parallèle à celui de génocide, réfère à la destruction des humains par la destruction de leur identité et mode de vie.

D’autres, comme Bruckner,  ont proposé de baliser ces critiques pour ne pas tomber dans le racisme renversé et être amené à damner toutes les personnes d’éducation occidentale.

Ainsi se sont posées les grandes questions anthropologiques. La défense des sociétés opprimées est-elle une nouvelle forme de paternalisme similaire à l’attitude missionnaire ? Peut-on critiquer le colonialisme sans passer pour un traître ? Est-ce que tout est relatif où s’il y a des critères universaux pouvant servir de base à un regard critique ?

Les années soixante-dix allaient alimenter ces réflexions dans le sillon de la guerre américaine au Vietnam.

Notes : quelques références.

Sylvie Vincent et Bernard Arcand
1979 L’image de l’Amérindien
dans les manuels scolaires du Québec
ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages.
Libre accès
http://classiques.uqac.ca/contemporains/vincent_sylvie/image_amerindien/image_amerindien.html

BECKERMAN, Stephen

1991 « Spear fishing : advantages to group formation? » dans Human Ecology: , vol. 19, no 4, pp. 529-554.

1985 « Pour une anthropologie expérimentale: l’étude des techniques » dans Techniques et culture. Bulletin de l’Équipe de Recherche 191 Paris: Par où passe la technologie,1, Jamard I.L. et Pinson, Fr. (eds), no 5, pp. 139-148.

1984  » A note on Ringeld Fields » dans Human Ecology , vol. 12, no 2, pp. 203-206.

1983 « Bari swidden gardens : Crop segregation patterns » dans Human Ecology, vol. Il, no 1, p. 85-101.

1983 « Does the swidden ape the jungle? » dans Human Ecology, vol. Il, no 1, p. 1-12.

1980 « Fishing and hunting among the Bari of Colombia » dans Working pauers in South America Indians, no 2, pp. 67-109.

1975 « The cultural energetics of the Bari (Motilones Bravos) of Northern Colombia », Thèse de Doctorat, University of New Mexico.

Jean Benoist

Plusieurs de ses écrits sont en lignes ici:

http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoist_jean/benoist_jean.html

 

BRCKNER, Pascal

1983 Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, colI. L’Histoire immédiate, 310 p

CLASTRES, Pierre

1989 « Ethnocide » dans Encyclopedia universalis, Paris, Corpus 8, pp. 973-975.

Alain Gheerbrant

L’Expédition Orénoque-Amazone (1952)

JAULIN, Robert

LA MAISON BARI (II) : Journal de la Société des américanistes, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 55, No. 1 (1966), pp. 111-153

LES BARI (III) Journal de la Société des américanistes, Vol. 55, No. 2 (1966), pp. 563-640

1974 La paix blanche, tome I, Paris, Éditions 10/18, 297 p.

LIZARRALDE, M, et Roberto LIZARRALDE

1991 « Bari exogamy among their territorial groups : choice and/or necessity » dans Human Ecolo!!v, vol. 19, no 4, pp. 453-468.

LIZARRALDE, Roberto

1991 « Bari settlement patterns » dans Human Ecolog~ , vol. 19, no 4, pp. 437-452.

PINTON, Solange

1967 « La maison bari et son territoire » dans Journal de la société des américanistes, tome LX, no 1, pp. 31-44.

965 « Les Bari I » dans Journal de la société des américanistes, tome LIX, no 2, pp. 247-333.

Paul Pirlot

1969,  Le pays entre l’eau et le feu, et autres beautés de l’Afrique récits congolais. :  Beauchemin (Montréal).

Paul Pirlot était professeur d’anatomie comparée à L:’UdeM, Il avait connu le Congo Belge avant de venir au Canada et nous avait montré ses diapositives exotiques.

Le volet Science fut influencé par l’histoire de la migration vers le nord de rats noirs venus d’Amérique du Sud. Nous voulions collectionner des spécimens et les ramener à Montréal. L’un avait ramené clandestinement un opossum vivant.  J’avais ramené quelques spécimens d’insectes et de grenouilles mis en pots et laissé au laboratoire du CÉGEP de Jonquière où j’ai été professeur.

 

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